Parties prenantes

Introduction et ancrage théorique

La théorie des parties prenantes part du principe que l’entreprise ne devrait pas uniquement être attentive à ses actionnaires mais bien à l’ensemble des catégories d’acteurs avec lesquels elle est en relation. Sur la base d’un contenu normatif fort, cette théorie est devenue une des pierres angulaires de la « responsabilité sociale des entreprises » et s’est progressivement affirmée comme un courant théorique majeur pour appréhender l’entreprise et, de manière générale, l’organisation.

La théorie des parties prenantes est ancrée dans une vision économique « néo-institutionnelle », qui cherche à comprendre les firmes, au-delà de leur comportement maximisateur de profit, comme des institutions reposant sur un ensemble de contrats. Il n’est pas étonnant, dès lors, que les auteurs de la théorie des parties prenantes utilisent un certain nombre de concepts empruntés à la théorie néo-institutionnelle, tels que le « nœud de contrats » (Jones, 1995), la théorie des coûts de transaction (Donaldson & Preston, 1995) ou encore la théorie de l’agence (Hill & Jones, 1992; Miller-Millesen, 2003).

Définitions et typologies de parties prenantes

Les définitions de ce qu’est une partie prenante varient selon les auteurs. On les situe généralement sur un continuum qui va d’une vision large à une vision restreinte. La vision large, proposée par Freeman  (1984), définit une partie prenante comme « tout individu ou groupe qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs de l’organisation ». Cette définition est assez large pour inclure à peu près tous les acteurs de la société : certains ont suggéré que, en suivant cette définition, on pouvait considérer les groupes terroristes comme des parties prenantes de la plupart des entreprises dans la mesure où ces groupes sont susceptibles « d’affecter laréalisation des objectifs de l’organisation ».

Une vue plus restreinte considère comme partie prenante « tout groupe identifiable dont l’organisation dépend pour sa survie à long terme » (Stanford Research Institute). Les acteurs sont alors moins nombreux : fournisseurs, clients, employés, pouvoirs publics, banques,…

Plusieurs distinctions de parties prenantes sont proposées par la littérature :

  • parties prenantes internes (managers, employés, actionnaires,…) versus parties prenantes externes (consommateurs, fournisseurs, partenaires,…);
  • parties prenantes primaires (les groupes cruciaux pour la survie de l’organisation) versus parties prenantes secondaires (le voisinage, la société civile, les pouvoirs publics,…);
  • parties prenantes stratégiques (qui peuvent influencer l’organisation) versus parties prenantes morales (qui peuvent être affectées par l’organisation);
  • parties prenantes volontaires (qui interagissent volontairement avec l’organisation) versus parties prenantes non volontaires (qui subissent l’interaction, par exemple le voisinage);
  • parties prenantes du côté de la demande (qui sont intéressées par les biens ou services produits par l’organisation) versus parties prenantes du côté de l’offre (qui sont intéressées par le retour qu’elles obtiennent de leur investissement en ressources, par exemple les employés ou les actionnaires).

Champs d’application

La stakeholder theory n’est pas limitée aux entreprises commerciales classiques : elle est utilisée également – explicitement ou implicitement – dans l’étude des organisations d’économie sociale.

La question des parties prenantes est déjà présente dans les théories fondatrices sur les nonprofit organisations (Gui, 1991; Hansmann, 1980; James, 1987) et en particulier dans la théorie du « demand creating supply » de Ben-Ner & Van Hoomissen (1991). Ces auteurs constatent que de nombreuses associations sont créées par des personnes désirant organiser un service pour lequel elles sont elles-mêmes demandeuses (par exemple un crèche mise sur pied par des parents). Au-delà des associations, l’étude de la gouvernance des organisations d’économie sociale a mis en exergue un certain nombre de traits caractéristiques en termes de parties prenantes : présence d’une coalition de parties prenantes dès la création de l’organisation, absence des actionnaires comme partie prenante potentiellement dominante, finalité de service à des groupes marginalisés,…

Parmi ces organisations, particulièrement celles qui sont qualifiées d’ »entreprises sociales », on a constaté que, de plus en plus, une pluralité de parties prenantes est représentée dans les instances de décision. Cette configuration « multi-stakeholder », surtout présente dans la conception européenne de l’entreprise sociale, ouvre des pistes de recherche intéressantes. On peut ainsi se demander dans quelle mesure cette pluralité de parties prenantes peut être liée à la pluralité des objectifs poursuivis par l’organisation (Campi et al., 2006) et de quelle manière les différents intérêts de ces stakeholders sont « arbitrés » pour définir la stratégie de l’organisation (Spear, 2004).

Critiques

La théorie des parties prenantes a essuyé un certain nombre de critiques. Tout d’abord, d’un point de vue scientifique, certains se demandent si l’on peut vraiment parler d’une théorie (Phillips, Freeman, & Wicks, 2003). En effet, tant sur le concept de partie prenante que sur la manière de les appréhender et de les « gérer », les vues sont tellement diverses et parfois même opposées (Donaldson & Preston, 1995) que le statut de théorie est difficile à valider.

Ensuite, au niveau du contenu, des critiques ont rapidement émergé pour contester la remise en cause du rôle des actionnaires comme seule réelle « partie prenante » de l’activité, cette remise en cause étant considérée comme « anti-capitaliste » (Heath, 2006). En outre, certains auteurs trouvent très réducteur de découper en « parties prenantes » parfois très abstraites un ensemble d’acteurs sociaux avec des logiques complexes et diversifiées. D’autres contestent l’affirmation selon laquelle une attention accrue à diverses parties prenantes est nécessairement une preuve de responsabilité sociétale, considérant qu’elle n’est rien de plus qu’une préoccupation stratégique (Greenwood, 2007). Enfin, certains regrettent qu’on réduise tous les problèmes éthiques à des questions de logiques conflictuelles entre parties prenantes (Heath, 2006).

Références :

  • Ben-Ner, A., & Van Hoomissen, T. (1991), « Nonprofit Organizations in the Mixed Economy: A Demand and Supply Analysis », Annals of Public and Cooperative Economics, 62(4), 519-550
  • Donaldson, T., & Preston, L. E. (1995), « The Stakeholder Theory of the Corporation: Concepts, Evidence, and Implications », The Academy of Management Review, 20(1), 65-91
  • Freeman, R. E. (1984), Strategic management: A stakeholder approach, Boston: Pitman.
  • Jones, T. M. (1995), « Instrumental Stakeholder Theory: a Synthesis of Ethics and Economics »,Academy of Management Review, 20(2), 404-437
  • Phillips, R., Freeman, R. E., & Wicks, A. C. (2003), « What Stakeholder Theory is not », Business Ethics Quarterly, 13(4), 479-502
2018-04-04T14:08:20+00:00 décembre 20th, 2017|